Urgent |

Gaza, le Hamas et la résistance : quand l’occupé devient le coupable

Une contribution de Saâd Hamidi – Il y a des mots qui trahissent. Quand on explique un génocide en accusant la résistance, on ne fait pas de la politique : on pactise avec l’amnésie. Certains voudraient que Gaza meure en silence. D’autres – les plus cyniques – veulent qu’elle meure en se justifiant. Tel est le sens de la contribution intitulée «Gaza, le Hamas et la résistance : quand l’occupé devient le coupable».

Lire une contribution qui accuse la résistance palestinienne d’avoir «provoqué» sa propre tragédie est un choc : pas seulement intellectuel, mais physique, comme si le sol sous nos pieds cédait à nouveau. Et dans ce tremblement, le souvenir des rues d’Alger, de la Casbah éventrée, de Milk Bar en flammes, se lève. Hassiba Ben Bouali n’a pas été jugée pour avoir «déclenché» la colère coloniale ; elle l’a affrontée. Ali Lapointe n’a pas été blâmé pour s’être caché, mais les ruines autour de lui témoignent de l’occupation. La logique est limpide : ce n’est pas la résistance qui crée la violence, mais l’oppresseur qui la rend inévitable.

Aujourd’hui, quand certains auteurs tendent à inverser cette causalité, ils trahissent une mémoire universelle. Ils oublient que toute occupation engendre une réponse. Ils oublient que punir les faibles pour l’iniquité des puissants est une méthode vieille comme le monde. Le Hamas – et je préfère largement dire la résistance palestinienne –, comme tout peuple assiégé, agit dans des contraintes que les commentateurs extérieurs n’osent mesurer qu’en abstractions morales. Mais la vie d’un peuple n’est pas abstraction ; elle est chair, sang et terre. Enfin, réduire la résistance palestinienne au seul Hamas, c’est très réducteur et c’est faire fi de toutes les sensibilités qui traversent la société palestinienne.

Comme le rappelait Frantz Fanon dans Les Damnés de la Terre : «La violence est une force nécessaire pour détruire l’ordre colonial et libérer l’homme opprimé.» [Fanon, 1961.] Ces paroles, écrites au moment où l’Algérie luttait pour sa liberté, trouvent un écho dans le combat de Gaza : la résistance n’est pas un choix moral discuté à froid, mais une nécessité dictée par l’occupation, le siège et la dépossession.

Le langage employé dans certains textes – «double jeu», «complicité», «sacrifice des Gazaouis» – tente de construire une morale inversée immonde : il place la victime au banc des accusés et l’oppresseur sur le trône de la rationalité. C’est exactement le procédé que les colonisateurs employaient dans nos villes, nos campagnes, pour justifier le massacre, le siège, la destruction systématique. Il y a là un piège subtil, presque invisible, mais mortel : faire croire que la résistance crée le génocide plutôt que de le subir.

Rien ne justifie la souffrance, et il n’y a pas de neutralité face au droit d’un peuple à vivre. La Charte des Nations unies et les conventions internationales reconnaissent explicitement le droit des peuples à recourir à tous les moyens, y compris armés, pour se libérer de l’occupation [ONU, Charte des Nations unies, Articles 1 et 51]. L’histoire algérienne nous enseigne qu’une population affamée, bombardée et spoliée répond. Elle n’invente pas la mort de ses enfants ; elle tente d’y survivre. Ceux qui écrivent en accusant Gaza comme si elle avait choisi sa tragédie oublient l’essentiel : la violence n’est pas symétrique. La force, l’armement, le siège, la diplomatie internationale, le blocus médiatique… tout cela pèse sur la balance. L’inégalité n’est pas un détail, c’est le cœur du conflit. Faut-il rappeler aux bonnes âmes que Gaza est une prison à ciel ouvert depuis deux décennies. Et le prisonnier alors a tous les droits de se révolter contre le joug de ses geôliers. La vie n’aura de sens que dans cette lutte pour la survie, n’en déplaise à ceux qui dissertent sur le sens profond de la foi et sur les «ismes qu’ils confondent souvent.     

Parler d’«ambiguïté» ou de «responsabilité partagée» lorsque l’oppresseur détient toutes les cartes est une inversion morale. C’est refuser de regarder la réalité en face : la résistance n’est pas l’agent du mal ; elle est la réponse à l’injustice. Ce refus de voir est une violence intellectuelle et spirituelle, presque aussi lourde que la violence physique qui ronge Gaza. La mémoire de Hassiba Ben Bouali et d’Ali Lapointe nous oblige à rappeler : les justes ne sont jamais coupables de défendre leur dignité.

L’histoire nous enseigne aussi que la foi a été, et reste, un moteur puissant de résistance, capable de mobiliser le courage et l’endurance face à l’oppresseur. La Palestine n’est pas étrangère à cette mémoire : la bataille de Hittin (1187) où Saladin affronta Richard Cœur de Lion illustre un combat épique où le courage, la stratégie et la foi se mêlaient pour repousser un envahisseur. Ces épisodes historiques montrent que la résistance armée et morale peut se conjuguer avec l’esprit d’un peuple, sans jamais justifier la violence contre les civils.

Les images qui nous parviennent de Gaza aujourd’hui sont les miroirs de nos souvenirs d’Algérie : les bâtiments effondrés, les rues désertes, le ciel obscurci par la peur et la poussière. Ce miroir doit nous rappeler que juger le faible pour la brutalité du fort est une forme de complicité silencieuse. La question n’est jamais : «Qui a commencé ?» mais : «Qui impose et entretient la misère et la mort ?» Le reste est rhétorique, destinée à anesthésier la conscience.

Il est temps de penser universel. Chaque peuple occupé, chaque cité assiégée, chaque enfant pris dans la peur mérite que l’on prenne sa souffrance pour ce qu’elle est : un crime contre l’humanité, et non une leçon de morale pour le résistant. L’histoire algérienne nous offre ce miroir : nous savons que l’occupation transforme le paysage, les corps et les âmes. Nous savons que résister est un acte de survie, pas de provocation. Toute tentative de faire porter au faible la charge morale du crime du fort est un simulacre de justice.

Alors que nous regardons les ruines et la peur, rappelons-nous la leçon de Novembre 1954, rappelons-nous Hassiba et Ali : la résistance est légitime, la mémoire est sacrée, et la conscience doit demeurer éveillée. Les mots que nous choisissons pour raconter le monde comptent autant que les bombes et les murs. L’inversion morale est une arme sourde ; la vérité est notre seule défense. La seule vérité qui brille : la Palestine est un pays occupé. Point.

La répartie célèbre et éternelle de Larbi Ben M’hidi : «Donnez nous vos avions, on vous donnera nos couffins» résonne encore dans le cœur de tout résistant ! D’ailleurs, selon certaines indiscrétions, la résistance palestinienne aurait proposé (!) le troc de tous les F16 du régime sioniste génocidaire contre l’arrêt de l’attaque du 7 octobre. Devant le niet catégorique des criminels de guerre sionistes, la résistance passa à l’action. La suite, on la connaît, jusqu’à ces contributions et autres commentaires qui assassinent doublement les Palestiniens.

Enfin, si cette contribution devait n’être qu’un avertissement, qu’il en soit ainsi : ne jamais accuser les opprimés de leur oppression. Ne jamais confondre la défense avec l’attaque. Ne jamais oublier que la dignité, même dans le plus petit souffle, est ce qui fait la grandeur d’un peuple. L’histoire algérienne et la tragédie palestinienne se répondent : ceux qui sont forcés de défendre leur vie ne sont jamais coupables. Les grands s’attaquent aux idées, les faibles s’attaquent aux personnes. Que notre regard se place toujours du côté de la justice et de la conscience.

S. H.

(Montréal)

Ndlr : Les avis exprimés n’engagent que l’auteur et ne sauraient être considérés comme constituant une prise de position du site.