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Entretien avec Salah Eddine Taleb : «L’Algérie est parfaitement engagée dans la lutte contre le blanchiment d’argent»

Le gouverneur de la Banque d’Algérie, Salah Eddine Taleb, a accordé à l’APS un entretien en marge de sa participation aux assemblées annuelles du Fonds monétaire Internationale (FMI) et de la Banque Mondiale, qui se tiennent actuellement à Washington, et dont voici le texte intégral.

Quelle est votre évaluation de la résilience de l’Algérie face aux crises successives internationales ?

Salah Eddine Taleb : L’économie mondiale a connu une succession de crises durant ces dernières années, notamment, la pandémie Covid-19, les tensions géopolitiques croissantes, la volatilité des prix des matières premières, particulièrement énergétiques et alimentaires, les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales et le resserrement des politiques monétaires dans les économies avancées. 

De plus, les perspectives économiques mondiales pour les années à venir demeurent incertaines, avec des risques baissiers sur la croissance mondiale. Dans ce contexte, l’Algérie a fait preuve d’une forte résilience avec une croissance économique soutenue notamment hors hydrocarbures, un niveau des réserves de change plus que confortable, un endettement extérieur quasi inexistant, une inflation en net recul et une place bancaire robuste qui, faut-il le signaler, a résisté aux chocs qui se sont succédé ces dernières années.

La Banque d’Algérie, attentive aux évolutions économiques nationales et internationales, a ajusté l’orientation de sa politique monétaire en fonction de l’évolution de l’inflation dans le but d’assurer la stabilité des prix.

Il convient de rappeler qu’en 2020, au tout début de la crise du Covid-19, la Banque d’Algérie a procédé à l’abaissement de son taux directeur à deux reprises, en mars 2020 puis en avril 2020, pour le porter de 3,50% à 3% dans l’objectif de maintenir, voire d’accroître, les capacités de financement du secteur économique par les banques commerciales. Lorsque les effets de la pandémie ont commencé à se faire ressentir sur le secteur économique, la Banque d’Algérie est intervenue afin de soutenir l’activité des entreprises et réduire les répercussions de la pandémie sur leur activité en promulguant un texte réglementaire portant mesures exceptionnelles d’allègement de certaines normes prudentielles applicables aux banques et aux établissements financiers qui a été reconduite cinq fois de suite.

A mesure que les effets de la crise sanitaire s’atténuaient, une normalisation progressive de la conduite de la politique monétaire et prudentielle post-Covid a été entamée en mars 2022 par la fin de l’allègement exceptionnel des normes prudentielles en termes de seuils minimum du coefficient de liquidité et de l’obligation de constitution du coussin de sécurité applicables aux banques et aux établissements financiers.

La période postpandémique, avec un épisode d’inflation mondiale, a été marquée par une augmentation du rythme de l’inflation en Algérie, dont 70% étaient importés (inflation par les coûts), selon les conclusions d’une étude menée par la Banque d’Algérie sur les déterminants de l’inflation.

Dans un contexte d’indicateurs extérieurs robustes tel qu’une balance des paiements excédentaires et un niveau confortable des réserves de change, la Banque d’Algérie a utilisé la marge de manœuvre existante en appréciant le dinar algérien, ce qui a contribué à atténuer l’effet de l’inflation importée en même temps que le faible endettement extérieur de notre économie a prémuni l’Algérie de l’impact de la hausse des taux d’intérêt à l’international.

Vu la nature de l’inflation et le niveau du taux directeur, la Banque d’Algérie a préféré maintenir le taux directeur inchangé à 3% pour renforcer la capacité des banques à financer l’économie. Par la suite, le taux d’inflation global, en moyenne annuelle, a sensiblement décéléré pour atteindre 2,66% (-1,19% en glissement annuel) en août 2025 après avoir enregistré un pic de 9,48% en août 2022 (10,82% en glissement annuel).

Cette tendance baissière de l’inflation enregistrée durant plusieurs mois, atteignant un niveau inférieur à celui de l’objectif de la politique monétaire, a constitué la première motivation du Conseil monétaire et bancaire pour abaisser le taux directeur de 0,25% et le fixer à 2,75% en vue d’accroître la capacité du système bancaire à financer l’économie.

Quelles sont les étapes achevées par la Banque d’Algérie en matière de développement des moyens de paiements digitaux ?

Avant de parler des outputs en termes de digitalisation, il est important de rappeler que la promulgation de la Loi monétaire et bancaire fait partie des grandes réformes bancaires que le pays aura connues depuis des décennies.

Sa promulgation qui a abrogé l’ordonnance num. 03-11 relative à la monnaie et au crédit s’est inscrite dans le cadre des réformes économiques et monétaires dans lesquelles les pouvoirs publics se sont pleinement engagés et constitue une adaptation de l’arsenal juridique et réglementaire en vue de répondre aux mutations économiques et monétaire profondes ainsi que les enjeux techniques et technologiques à même de mettre les jalons pour assurer la mutation ordonnée et sécurisée des systèmes bancaires vers les nouvelles technologiques et l’innovation d’une manière générale.

Ainsi, la Loi a prévu dans ses dispositions l’introduction de l’autorisation à de nouveaux acteurs à intégrer le système de paiement national, à savoir les Prestataires de services de paiement (Payment Services Providers), les banques digitales, les banques islamiques et les banques d’affaires, sans oublier l’introduction de la notion de Monnaie numérique de Banque centrale.

Il convient de signaler la signature et la promulgation de plusieurs textes réglementaires qui stimulent la digitalisation des moyens de paiement, nous citerons à ce titre le texte fixant les conditions d’autorisation de constitution, d’agrément et d’exercice d’activités des Prestataires de services de paiement apportant les principes généraux en termes de constitution et d’agrément ; le texte définissant les règles régissant l’activité et le fonctionnement des PSP, les conditions d’autorisation de constitution et d’agrément des Prestataires de services de paiement ; le texte relatif aux conditions spécifiques de constitution d’agrément et d’activités de banque digitale ainsi qu’un règlement relatif aux conditions spécifiques d’autorisation de constitution, d’agrément et d’exercice d’activités de banque digitale.

Par ailleurs, la Banque d’Algérie a considérablement amélioré l’assise comptable de la place bancaire et de reporting financier relatifs aux banques et aux établissements financiers conventionnels et une mise en place d’un cadre spécifique applicable aux opérations relevant de la finance islamique. Ces mesures permettront de disposer d’une information financière plus affinée permettant d’améliorer l’analyse et la communication financière de la place conformément aux standards internationaux.

Sur le plan de la surveillance, la Banque d’Algérie a notamment œuvré à adapter ses capacités humaines et technologiques en vue de mettre en place un dispositif de surveillance et de gestion du risque à même de répondre aux mutations que subit le secteur afin d’accompagner l’activité des nouveaux acteurs.

Cet arsenal juridique dont la conception, l’élaboration et l’adoption se sont faits à un rythme soutenu sont autant d’outils pour l’émergence d’une banque qui se transforme, en phase avec les besoins des citoyens ainsi que les évolutions technologiques.

Enfin, parmi les engagements au titre de cette nouvelle Loi, l’engagement résolu d’accélérer la modernisation, la numérisation et la digitalisation du système bancaire national et ce notamment par la consécration d’un Comité national des paiements qui a tracé la stratégie nationale permettant d’arriver à des transactions sans argent liquide à l’horizon de 2028.

Que pouvez-vous nous dire au sujet du dossier du Gafi ?

La question relative au dossier du Gafi, dont la prise en charge entre, en partie, dans le cadre de la mise en conformité de notre dispositif législatif et réglementaire avec les normes et standards internationaux, l’Algérie s’est attelée à mettre en œuvre le plan d’action établi par cet organisme à l’attention de notre pays, en octobre 2024. A cet effet, le Comité national d’évaluation des risques assure le suivi des actions entreprises par le comité de coordination nationale chargé de la levée des réserves du 2e rapport d’évaluation mutuelle de l’Algérie, institué auprès de la Banque d’Algérie.

Ce dernier comité composé de représentants de tous les secteurs concernés travaille d’arrache-pied à mettre à niveau le dispositif national de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBC/FT) opérant une profonde refonte du cadre de conformité, légal et réglementaire et des procédures opérationnelles et organisationnelles pour sa mise en œuvre. L’ensemble des secteurs concernés ont notamment mis en place des stratégies d’atténuation des risques, et organisé des formations au profit des assujettis et des superviseurs, autant d’efforts déployés et de résultats obtenus par l’Algérie, attestant de l’engagement de notre pays à se conformer parfaitement aux standards internationaux en matière de LBC/FT.

Les efforts déployés par l’Algérie ont été salués par les évaluateurs du joint group (ICRG), une reconnaissance des progrès réalisés qui constitue un bon présage pour une sortie rapide de notre pays de la liste des pays sous surveillance renforcée du Gafi.

En conclusion, il convient de rappeler que le secteur bancaire constitue le segment d’activité le plus réglementé de la sphère économique. Il obéit à des règles normatives strictes et évolutives, couvrant aussi bien les volets prudentiels, de contrôle interne, comptable et de contrôle des changes, qui constituent la base raisonnable à même de le prémunir contre les risques notamment, de contrepartie, opérationnels et de change. Ce cadre permet une gestion prudente de ces risques et assoit la stabilité et la sécurité financière de la place, ainsi que la protection des intérêts des déposants.

Le cadre réglementaire édicté par la Banque d’Algérie s’inscrit, ainsi, dans cette optique prudente, ce qui a grandement contribué à protéger notre secteur bancaire contre les contrecoups des différentes crises apparues au cours de ces dernières années.

R. E.