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Algérie-Maroc : tout sur le «négociateur miracle» qui vend l’illusion d’une «paix en 60 jours»

Par Abdelkader S. – Quand Steve Witkoff a déclaré qu’il allait pouvoir «régler la crise entre l’Algérie et le Maroc en 60 jours», nombre d’observateurs ont cru à une plaisanterie. Et pour cause : l’homme qui se présente aujourd’hui comme artisan de la paix au Maghreb n’a ni l’expérience diplomatique, ni la connaissance historique, ni la neutralité requise pour s’attaquer à l’un des contentieux les plus complexes de la planète, celui du Sahara Occidental, véritable ligne de fracture entre Alger et Rabat depuis près d’un demi-siècle.

Né à New York en 1957, Steve Witkoff s’est bâti une fortune colossale dans la promotion immobilière. Fondateur du Witkoff Group, il a développé plus de 70 immeubles aux Etats-Unis et à l’étranger. Ancien avocat spécialisé en droit immobilier, il doit son ascension à ses relations dans les cercles d’affaires new-yorkais. Mais rien, absolument rien, dans son parcours, ne le prédestinait à manier les arcanes de la diplomatie internationale.

Proche de Donald Trump, dont il est un fidèle soutien et donateur, Steve Witkoff a été propulsé, en 2025, au poste d’«envoyé spécial pour le Moyen-Orient» par le président américain. Depuis, il multiplie les déplacements et les déclarations fracassantes, promettant d’apporter des «solutions rapides» à des crises qui échappent depuis des décennies aux diplomates les plus chevronnés.

Derrière l’image d’homme d’affaires pragmatique, des zones d’ombre subsistent. La presse américaine a révélé que ses fils, Alex et Zach Witkoff, tentaient de lever plusieurs milliards de dollars auprès de fonds souverains du Golfe, notamment au Qatar, au moment même où leur père menait des pourparlers diplomatiques dans la région. Une coïncidence troublante qui a relancé le débat sur les conflits d’intérêts au cœur de cette diplomatie d’affaires.

Face à la polémique, Steve Witkoff a vendu pour environ 120 millions de dollars de participations dans sa société. Mais ces expédients n’ont pas suffi à dissiper les doutes. Pour beaucoup, sa diplomatie est indissociable de ses intérêts financiers. Les pays qu’il fréquente pour «négocier la paix» sont souvent ceux qui investissent dans ses projets immobiliers.

Ce qui frappe chez Witkoff, c’est son approche «transactionnelle» du monde. Il parle de «deals» plutôt que de compromis, de «résultats rapides» plutôt que de processus. Ce langage d’homme d’affaires, efficace dans le business, devient problématique lorsqu’il s’applique à des conflits ancrés dans des décennies de rivalités, de ressentiments et de légitimités nationales.

Or, le dossier sahraoui est tout sauf une transaction. Il touche au droit à l’autodétermination, à la sécurité régionale et au pillage des ressources naturelles d’un peuple sous occupation marocaine. Croire qu’un magnat new-yorkais, fût-il milliardaire, puisse le «régler en 60 jours» relève de la naïveté ou de la mise en scène.

La mission autoproclamée de Witkoff intervient dans un contexte explosif. Les relations diplomatiques entre Alger et Rabat sont rompues depuis 2021. L’Algérie soutient la cause juste sahraouie et la tenue d’un référendum d’autodétermination au Sahara Occidental, tandis que le Maroc continue de coloniser ce territoire. Par ailleurs, la honteuse normalisation entre Rabat et Tel-Aviv n’a fait qu’éloigner encore plus toute chance de réconciliation entre les deux voisins aux positions diamétralement opposées. Quand l’Algérie s’élève avec courage et détermination contre les injustices, le Makhzen, lui, se prosterne devant les puissances qui lui assurent sa pérennité contre des concessions à n’en plus finir, au détriment du peuple marocain opprimé et affamé.

Dans ce climat, comment imaginer que Steve Witkoff, proche du lobby pro-israélien, puisse jouer un rôle crédible ? Même sa présence dans la région risque de braquer davantage les protagonistes. Le simple fait que Washington délègue une mission aussi sensible à un promoteur immobilier interroge : est-ce de la diplomatie ou du marketing politique ?

Witkoff n’a pas expliqué comment il comptait résoudre la crise. Aucun plan, aucun cadre de négociation, aucune consultation régionale n’a été annoncée. A l’inverse, il multiplie les déclarations tonitruantes dans les médias, affirmant qu’il dispose de «contacts des deux côtés» et d’une «approche nouvelle». Mais personne, à Alger en tout cas, ne prend son initiative au sérieux.

Alors, à quoi joue-t-il ? Certains analystes estiment que Witkoff cherche avant tout à soigner son image auprès de l’opinion américaine, voire à s’assurer un rôle dans un éventuel futur gouvernement Trump. D’autres y voient une manœuvre de communication visant à détourner l’attention de ses controverses financières au Moyen-Orient.

En vérité, Steve Witkoff incarne une tendance inquiétante de la politique américaine : celle de confier la diplomatie à des hommes d’affaires persuadés que les conflits se règlent comme des négociations commerciales. Mais la paix n’est pas un contrat, et le Sahara Occidental n’est pas un terrain à bâtir.

Promettre de «régler la crise Algérie-Maroc en 60 jours» relève moins de la diplomatie que du coup de communication. Derrière les effets d’annonce, une question demeure : à qui profite cette illusion ? Peut-être à Steve Witkoff lui-même, qui bâtit, une fois encore, non pas des tours, mais sa propre légende.

A. S.