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Le fils de l’OAS

Par Khaled Boulaziz – Il y a des ministres du transport, et il y a des ministres du transport de mémoire – celle, sélective et falsifiée, qui ne transporte que les mythes d’un empire défunt. Philippe Tabarot appartient à cette dernière catégorie : un homme qui roule sur les rails du déni, dans une locomotive peinte aux couleurs de la nostalgie coloniale.

Fils de Robert Tabarot, grande figure de l’Organisation armée secrète à Oran, il a choisi d’hériter non de la culpabilité, mais de la cause. Sur CNews, il déclare cyniquement : «Nous ne sommes pas tenus de nous excuser pour le passé ou le présent.» Phrase courte, lourde comme un revolver. Elle condense toute une généalogie politique : celle des descendants du crime colonial qui préfèrent la morgue à la mémoire.

Oran, sa ville tutélaire, n’est pas un simple décor. C’est la matrice d’un fanatisme civique où l’empire se rêvait éternel. Là s’entremêlaient Européens, Espagnols, Maltais, juifs naturalisés par le décret Crémieux –, tous membres d’un bloc pied-noir homogène dans sa peur, unifié dans son refus de l’égalité. Quand l’indépendance approcha, cette peur devint poudre : l’OAS y trouva ses recrues, ses financiers, ses slogans, ses tueurs. La mémoire du père Tabarot traîne encore dans les ruelles d’Oran, entre les cris des enfants et les murs troués des marchés mitraillés.

Et voici que le fils, ministre de la République, perpétue le vieux lexique : «Fermeté», «coopération», «avenir commun». Tout cela sonne comme une prière mécanique récitée devant un cadavre qu’on refuse d’enterrer. Tabarot ne parle pas d’avenir ; il célèbre un passé intact. Chaque phrase qu’il prononce pue la naphtaline d’une grandeur perdue.

Mais le vernis moral craque. Le 13 janvier 2025, CNews révélait qu’il est visé par une enquête pour détournement de fonds publics et prise illégale d’intérêts, à propos de ses fonctions entre 2018 et 2020 au sein d’un groupement d’intérêt public culturel et de la mairie du Cannet. Une perquisition eut lieu à son domicile le 30 novembre 2022. Le technocrate impeccable se retrouve soudain plombé par des soupçons d’argent sale. Comme si l’ombre paternelle n’avait pas suffi, il fallait que la malédiction morale devienne judiciaire. La corruption, chez les Tabarot, semble voyager aussi bien que leurs souvenirs.

Tout, chez lui, respire la continuité : le ton martial, l’absence de doute, la conviction d’incarner la France éternelle. Il parle de trains à l’heure, mais ignore le retard de la conscience. Il prétend gérer des rails, mais il dirige un convoi de spectres. Il transporte non pas des voyageurs, mais des reliques – les ossements blanchis d’un empire disparu.

Et la France médiatique, dans son hypocrisie rituelle, lui déroule le tapis rouge. CNews et Le Figaro lui offrent des micros pour prêcher sa fermeté, comme s’il s’agissait d’une vertu républicaine. La droite coloniale applaudit : «Enfin un ministre qui ne s’excuse pas !» La vieille rengaine revient : la colonisation aurait «apporté des routes et des écoles». Oui – et des charniers. Mais dans la France des talk-shows, le sang ne tache plus.

L’ironie veut que ce ministre des Transports ait hérité d’un père qui faisait sauter des ponts. Le voilà désormais chargé d’en construire. Ironie baroque : un ingénieur du souvenir qui, au lieu de relier les peuples, ressoude les blessures. Tabarot ne répare rien, il réactive les fractures. Il est le chef de gare du déni colonial : chaque mot qu’il prononce fait siffler une locomotive chargée d’illusions.

La vérité, c’est que la France ne guérit pas parce qu’elle nie. Chaque fois qu’un Tabarot parle, c’est une grenade verbale lancée contre l’histoire. Le refus d’excuser n’est pas une fierté : c’est un aveu. L’aveu d’un Etat incapable de reconnaître sa propre faute, préférant célébrer ses criminels plutôt que ses justes.

Or, l’Algérie, elle, n’attend rien. Elle n’attend ni excuses ni regrets. Elle possède sa mémoire : rugueuse, précise, indélébile. Là-bas, on sait encore ce qu’étaient Oran, Philippeville, les camps de regroupement, les viols et les supplices. On ne négocie pas avec les fantômes ; on les regarde en face.

Il est des ministres qui avancent vers le futur. Et il en est d’autres, comme Philippe Tabarot, qui reculent vers les ténèbres, avec la même allure assurée que les colonels d’hier. Derrière sa posture technocratique, on entend encore les slogans des ultras : «L’Algérie, c’est la France !» Et sous son vernis républicain, c’est toujours la même voix : celle qui refuse la justice au nom du drapeau.

Il est des héritages qu’on assume en silence. D’autres qu’on aurait dû enterrer avec les morts. Philippe Tabarot a choisi d’en faire un drapeau. Et c’est là son scandale : transformer l’histoire en patrimoine familial, et la honte en stratégie politique.

Qu’il garde sa posture raide et ses certitudes de plateau télé. L’Algérie n’a pas besoin de son pardon, elle possède sa mémoire – intacte, rugueuse, intransigeante. Et cette mémoire-là ne voyagera jamais dans ses trains.

K. B.