Une tribune d’Isaias Barrenada Bajo(*) – Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, le 31 octobre, une résolution sur le Sahara Occidental (S/RES/2797) qui, comme les précédentes, a prorogé d’un an le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (Minurso) et a défini une série d’orientations pour la résolution du conflit. La différence avec les résolutions antérieures est qu’elle accorde une importance accrue à la proposition marocaine d’autonomie pour ce territoire.
Au Maroc, la nouvelle a donné lieu à d’importantes manifestations de triomphe et à un discours solennel du roi. Le conseiller de Donald Trump pour l’Afrique, Massad Boulos, l’a qualifié de «moment historique». Au-delà de cette fanfare, il convient de se demander ce que cette résolution implique réellement, ce qu’elle a de nouveau et de significatif, et quels scénarios elle ouvre désormais. Que cela se produise précisément à l’occasion du cinquantième anniversaire de la Marche verte, de l’Accord tripartite de Madrid et du retrait de l’Espagne met en évidence que la question du Sahara Occidental a été la victime expiatoire d’un ordre international grippé, où existent des normes – le droit à la décolonisation – mais où prévaut la realpolitik.
La résolution a été adoptée in extremis, le mandat de la Minurso arrivant à expiration ce même jour. Les semaines précédentes avaient été marquées par une succession de mouvements diplomatiques. Depuis plusieurs mois, à Washington, certains membres du Congrès avaient échauffé les esprits en menant une campagne pour déclarer le Front Polisario «organisation terroriste». Le 30 septembre, le Secrétaire général des Nations unies a présenté son rapport sur la situation au Sahara Occidental (S/2025/612), exposant l’état de la Minurso et le travail accompli – avec des résultats limités – par son Envoyé personnel, Staffan de Mistura. Il y exprimait son inquiétude face à l’enlisement de la situation.
Le 16 octobre, la Quatrième Commission de l’Assemblée générale a adopté une résolution réaffirmant le statut juridique du Sahara Occidental et la responsabilité de l’ONU envers le peuple sahraoui en matière de décolonisation. A la mi-octobre, les émissaires du président américain, Steven Witkoff et Jared Kushner, ont révélé dans une interview qu’ils prévoyaient «un accord de paix entre l’Algérie et le Maroc dans les 60 jours», espérant étendre au Maghreb leur formule de «pacification-diktat» appliquée à Gaza. Le 21 octobre, le Front Polisario a transmis aux Nations unies une «proposition élargie» (S/2025/664), répondant à la demande formulée dans la résolution 2756 (2024), réitérant son engagement envers les principes en vigueur, offrant des garanties et détaillant les possibilités de coexistence et de coopération entre un Etat sahraoui indépendant et le Maroc. Pendant ce temps, le Maroc n’a rien ajouté à sa brève proposition d’autonomie présentée en 2007.
Dans la seconde moitié d’octobre, un projet de la nouvelle résolution a fuité, rédigé comme à l’accoutumée par les Etats-Unis, avec l’assistance du Groupe des amis du Secrétaire général pour le Sahara Occidental (Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Espagne). Le projet penchait clairement en faveur des positions de Rabat et prévoyait un renouvellement limité du mandat de la Minurso. Dans les camps de réfugiés, des manifestations de protestation ont éclaté.
La version finale de la résolution introduit certaines nouveautés. Elle a été adoptée par 11 voix pour, avec trois abstentions (Russie, Chine et Pakistan) et une absence (Algérie). Le mandat de la mission a été prolongé d’un an, et les formules habituelles ont été maintenues («parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable permettant l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental, conformément aux principes et objectifs de la Charte des Nations Unies, en reconnaissant le rôle et les responsabilités des parties»). La différence est que, cette fois-ci, la résolution précise que la solution devra être fondée sur le plan d’autonomie du Maroc. L’autonomie est passée du statut de possibilité à celui de pilier de l’arrangement.
La Russie et la Chine ont indiqué qu’elles désapprouvaient la procédure mais s’étaient abstenues afin d’assurer la prorogation de la Minurso, tandis que le Pakistan s’est abstenu en raison du manque de considération pour la question de l’autodétermination. L’Algérie s’est retirée en signe de désaccord. Ce n’est pas une nouveauté : ces dernières années, les résolutions ne sont plus adoptées à l’unanimité.
Le Maroc a considéré cette résolution comme un succès diplomatique absolu. Dans son discours, le roi Mohammed VI a déclaré qu’«est venu le temps du Maroc unifié, de Tanger à Lagouira, dont nul ne saurait violer les droits et les frontières historiques».
La réponse du Front Polisario (communiqué de presse du 31 octobre) a été à la fois mesurée et ferme. Il salue le maintien des objectifs et des principes de l’autodétermination. Toutefois, il souligne que la résolution contient une série d’éléments constituant «une déviation très dangereuse et sans précédent de la base sur laquelle le Conseil de sécurité a traité la question du Sahara Occidental, conformément aux principes consacrés dans la Charte des Nations unies». Le texte ajoute : «Ces éléments violent également le statut international du Sahara Occidental en tant que question de décolonisation, sapent les fondements du processus de paix de l’ONU et entravent les efforts du Secrétaire général et de son Envoyé personnel».
Il souligne que certaines questions soulevées par les membres du Conseil n’ont pas été prises en compte et indique qu’il ne participera à aucun processus politique ni à aucune négociation fondée sur des propositions, quelle qu’en soit l’origine, visant à «légitimer» l’occupation militaire illégale du Sahara Occidental par le Maroc et à priver le peuple sahraoui de son «droit inaliénable, non négociable et imprescriptible à l’autodétermination». Le Front Polisario insiste sur le fait que «les positions unilatérales cherchant à sacrifier l’Etat de droit, la justice et la paix au profit de commodités politiques à court terme ne feront qu’aggraver le conflit et menacer la paix, la sécurité et la stabilité dans toute la région».
L’imposition de l’autonomie marocaine comme base des négociations illustre les pratiques trumpistes actuellement en vogue, comme cela s’est fait à Gaza, en imposant un fait accompli sans aucune considération du droit international. Cela engendre par ailleurs des contradictions manifestes, puisqu’il s’agit de concilier un autonomisme d’annexion avec le principe d’autodétermination. De plus, cela place les autres membres du Conseil de sécurité sous un chantage : accepter cette formule ou voir la Minurso disparaître et l’Accord de règlement de 1991 s’effondrer. Sous la protection de Washington, Rabat ne peut que s’en réjouir.
Cette situation démontre à nouveau qu’au sein des Nations Unies, tandis que l’Assemblée générale et sa Quatrième Commission défendent le cadre de la décolonisation, le Conseil de sécurité adopte des résolutions qui tendent à légaliser l’annexion. Cela nuit gravement à l’Envoyé personnel du Secrétaire général, incapable de relancer les négociations et qui, si la situation perdure, finira par démissionner comme ses prédécesseurs.
Entre-temps, le Groupe des amis, au lieu de faciliter la résolution du conflit, contribue à le fausser. Rien d’étonnant, puisque deux de ses membres acceptent l’illégalité de l’annexion et ont reconnu la marocanité du Sahara (les Etats-Unis et la France), tandis que deux autres (le Royaume-Uni et l’Espagne) voient d’un bon œil la proposition d’annexion déguisée en autonomie. Cela devrait suffire à justifier la dissolution de ce groupe.
La Minurso n’est pas démantelée, mais reste paralysée, sans référendum en vue et sans fonction d’observation du cessez-le-feu, les hostilités ayant repris depuis cinq ans. De Mistura dispose de 90 jours pour mettre en place un schéma de négociations sur ces bases. Les avancées semblent peu probables. La résolution adoptée encourage le Maroc, qui profite du moment de désordre trumpiste et ne fera aucun pas en arrière. De leur côté, la fermeté du Front Polisario et de l’Algérie laisse présager la prolongation du blocage.
Rabat continuera à tirer parti du désintérêt de nombreux Etats pour cette question non résolue et exploitera l’incohérence de l’Union européenne, qui vient d’approuver un nouvel accord d’association avec le Maroc incluant le territoire du Sahara, sous le prétexte fallacieux que la population sahraouie y a consenti tacitement, l’accord ne lui impose aucune obligation directe et lui apporte des bénéfices tangibles.
Nous ne sommes pas face à un tournant. La realpolitik des puissants continue de primer, tandis que le droit international demeure l’arme des faibles. Les conseillers-entrepreneurs de Trump (Witkoff, Kushner et Boulos) ont exporté au Maghreb les pratiques de chantage de leur mentor, étrangères au droit international. Comme souvent, elles peuvent avoir un effet immédiat, mais finissent généralement dans le chaos. Tout indique que l’euphorie trumpiste s’estompera d’ici quelques jours et que tout restera inchangé, voire empirera.
I. B.-B.
(*) Professeur de relations internationales à l’Université Complutense de Madrid, Centre d’études arabes contemporaines (CEARC).
Traduction de Moisés Ponce de Leon Iglesias, Université Rennes 2, à partir de l’original en espagnol : https://www.cearc.net/sahara-occidental-ni-momento-de-inflexion-ni-votacion-istorica/



