Par M. Aït Amara – Tahar Ben Jelloun s’émeut, une fois encore, d’un cas qui ne le concerne pas. Dans Le Point, il consacre une énième chronique à la détention de Boualem Sansal, déployant sa plume usée pour dénoncer l’«injustice» et la «cruauté» d’un «régime algérien» qu’il qualifie de «totalitaire». Pourtant, beaucoup, au Maroc, son pays, relèvent que son indignation choisit toujours soigneusement ses cibles, comme si la dictature voisine lui était plus supportable.
Ne ferait-il pas mieux de se pencher sur la dignité du peuple marocain, sur ces hommes et ces femmes qu’il doit réveiller pour arracher leurs droits face au régime monarchique prédateur ? Ce même régime qu’il ne critique jamais ouvertement, dont il demeure l’ambassadeur officieux en France, préférant chanter la beauté du royaume plutôt que de nommer ses blessures. Pendant qu’il disserte sur la liberté en Algérie, les prisons marocaines, elles, continuent de se remplir d’opposants, de journalistes, de syndicalistes et de militants marocains et sahraouis. On y enferme ceux qui osent penser autrement, parler trop haut ou simplement espérer un peu de justice.
A chaque fois que les projecteurs s’éteignent, le romancier disparaît, avant de réapparaître dès que «l’affaire Sansal» lui offre une nouvelle scène pour griffonner un billet sur le papier lisse du Point. Sa solidarité est saisonnière, comme une floraison médiatique réglée sur le tempo des plateaux de télévision. Ben Jelloun, ce clochard de la littérature, a besoin de sortir du placard où les médias français le rangent entre deux crises. Il guette la moindre occasion d’affirmer sa présence, de rappeler qu’il est encore là, moraliste en chef, dispensateur d’indignations certifiées. Quand il parle de droits humains, ce sont toujours ceux des autres, jamais ceux que son propre pays bafoue.
On souligne le paradoxe. Comment prétendre défendre la liberté universelle tout en gardant un silence obstiné sur la répression qui frappe à sa porte ? Comment s’ériger en conscience éclairée quand on ferme les yeux sur les prisons jonchées de son royaume ? L’engagement n’est pas un accessoire qu’on arbore selon la lumière du moment ; c’est une fidélité au principe, une continuité morale.
Ben Jelloun transforme son indignation factice en spectacle, s’en sert comme d’une scène commode pour exister encore un peu dans le débat public. A chaque crise, il rejoue le rôle du témoin de la liberté, sans jamais en payer le prix.
Pendant qu’il écrit sur l’Algérie, le Maroc profond parle, mais personne ne l’écoute. Il y a là-bas un peuple épuisé, une jeunesse muselée, des écrivains qui, eux, n’ont pas de tribune. Et c’est le vrai scandale : que ce mercenaire marocain dénonce le silence des autres plutôt que d’affronter le sien.
Car au fond, tout le monde sait qu’il est plus facile de crier contre les murs d’Alger que de murmurer la vérité à Rabat. Il est plus confortable de s’indigner loin de chez soi, à l’abri d’une carte de résidence permanente et d’une notoriété de salon. Tahar Ben Jelloun parle de liberté comme on récite une prière mondaine, sans y croire aucunement, mais pour être vu en train de la prononcer. Pendant que d’autres, anonymes, croupissent en prison au Maroc pour avoir osé la vivre.
M. A.-A.



