De Paris, Saliha Fayez – Le dernier sondage IFOP sur la réislamisation des musulmans de France «est une étude taillée sur mesure pour alimenter les plateaux télé en frissons sécuritaires, tremper dans le sensationnalisme et offrir aux marchands de peur un matériau de choix», s’indigne le président de l’Observatoire de lutte contre l’islamophobie, dans une déclaration à Algeriepatriotique. «Le vocabulaire employé par l’IFOP parle de lui-même : sur-religiosité, absolutisme religieux, rejet de la science, intégralisme, frérisme, islamisme multiforme, etc. On dirait un synopsis conçu pour une émission alarmiste, pas une étude sociologique», ironise-t-il.
Abdallah Zekri avait prévenu en 2020 : «On effraie les Français avec des chiffres bidons.» En 2025, rien n’a changé. Il y a cinq ans, le recteur de la mosquée de la Paix, à Nîmes, pointait déjà les méthodes de l’IFOP. Aujourd’hui, il confirme : «L’institut remet le couvert, avec les mêmes biais, les mêmes angles, la même rhétorique anxiogène», s’insurge-t-il.
A l’époque, le plateau de la chaîne raciste de Vincent Bolloré était chauffé à blanc, les chroniqueurs «effrayés». Le slogan mis en avant était que l’islam «n’est pas compatible avec la République», en s’arc-boutant sur un sondage IFOP affirmant que les jeunes musulmans placeraient la religion au-dessus des lois. Zekri avait alors rappelé une évidence : «Je vais dans les mosquées, moi. Je ne vois pas ce que vous décrivez.»
L’IFOP, vexée qu’on ose critiquer sa production, avait même porté plainte. La justice a tranché : ses propos relevaient du débat public. Ce rappel devait suffire à calmer les ardeurs de ceux qui transforment chaque courbe statistique en prophétie de chaos, mais la leçon semble ne pas avoir été retenue.
Le nouveau sondage reprend, en effet, le même schéma : toute pratique religieuse est présentée comme un signe de radicalisation. «On frôle la caricature. On croirait lire un rapport alarmiste sur une secte émergente, alors qu’on parle de Français qui pratiquent leur religion», déplore le vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui interroge : «Imagine-t-on un tel traitement appliqué aux catholiques ou aux juifs ?» «Jamais ! Seuls les musulmans sont systématiquement renvoyés au soupçon, à la menace, à l’altérité radicale», constate-t-il, agacé.
Abdallah Zekri fait remarquer qu’«il est permis de taper sur les musulmans, mais pas de contredire ceux qui les ciblent», en affirmant que «le plus révoltant reste le deux poids deux mesures qui fait qu’il est tout à fait toléré – parfois encouragé – de dénigrer les musulmans dans certains médias, mais contester les chiffres qui alimentent cette dynamique frôle le délit». Il rappelle, à juste titre, que la liberté d’expression ne peut pas être à géométrie variable : «Illimitée lorsqu’il s’agit de pointer du doigt les musulmans, restreinte lorsqu’il s’agit de critiquer la méthodologie qui les stigmatise», étaye-t-il.
«Ce que produit ce sondage, ce n’est pas une compréhension fine de la société française, mais plutôt une mise en scène, un récit d’hostilité croissante, de danger intérieur, d’incompatibilité culturelle, une fiction statistique qui fabrique des lignes de fracture au moment même où la France aurait désespérément besoin de nuances», recadre Abdallah Zekri, qui n’exclut pas de recourir aux voies légales pour faire condamner ce qu’il qualifie d’acharnement persistant contre la communauté musulmane.
S. F.


