Par Nabil D. – La scène aurait semblé inimaginable il y a encore quelques années. Le président syrien, héritier d’un groupe islamiste armé issu d’Al-Qaïda et installé à Damas avec l’appui d’Ankara, accueilli à la Maison-Blanche par Donald Trump. Ce qui s’est joué ce lundi à Washington dépasse le simple cadre d’un sommet diplomatique. Il s’agit d’une tentative de réécriture cynique de l’histoire syrienne, orchestrée par une Turquie opportuniste et un Occident pressé d’effacer sa propre responsabilité dans l’anéantissement du pays.
Selon l’agence turque Anadolu, la réunion a rassemblé les ministres des Affaires étrangères turc, syrien et américain pour discuter du «futur de la Syrie» et des «moyens de renforcer la coopération régionale». Derrière ce langage convenu se cache une opération politique de grande ampleur : légitimer un pouvoir né du chaos, issu de la mouvance djihadiste, et le réintégrer dans le concert des nations en échange d’une paix froide avec Israël. Une paix de façade qui servirait surtout les intérêts géopolitiques de Washington et d’Ankara, bien plus que ceux du peuple syrien.
Le ministre turc Hakan Fidan a plaidé pour la levée du Caesar Act, ces sanctions américaines imposées à la Syrie d’Al-Assad. Ironie amère : ce sont aujourd’hui ses successeurs, issus des structures de violence et d’arbitraire, qui réclament d’être blanchis au nom de la «reconstruction». Ankara, après avoir attisé la guerre pendant plus d’une décennie, soutenu les groupes islamistes et joué sur toutes les contradictions du conflit, prétend désormais incarner la stabilité et la paix. Le double jeu turc atteint ici son paroxysme. Fournisseur d’armes hier, médiateur autoproclamé aujourd’hui.
Cette normalisation en préparation avec Israël ajoute une dimension morale supplémentaire au scandale. Après avoir permis l’installation à Damas d’un régime aux racines terroristes, la Turquie et ses partenaires occidentaux cherchent désormais à présenter ce pouvoir comme un interlocuteur crédible, au motif qu’il serait prêt à dialoguer avec Tel-Aviv. On efface les crimes, on réhabilite les milices, on habille la compromission du langage de la diplomatie. Le tout sous le regard satisfait d’un Donald Trump ravi de jouer les faiseurs de paix dans une région qu’il a pourtant contribué à embraser.
La Syrie, autrefois symbole de résistance et de souveraineté, se retrouve réduite à une monnaie d’échange dans un jeu cynique où chacun cherche à tirer profit de sa ruine. Le peuple syrien, lui, reste prisonnier entre la répression d’un pouvoir islamiste imposé, la tutelle turque et l’indifférence d’un Occident qui se dédouane en parlant de reconstruction. En cherchant à «normaliser» l’inacceptable, Washington et Ankara scellent non pas la paix, mais la banalisation d’une tragédie. Et cette fois encore, la Syrie paiera le prix fort du cynisme des puissants.
N. D.


