Par Karim B. – Y a-t-il plus habile manière de détourner les regards du chaos qui règne aujourd’hui au Maroc que de ressortir du placard médiatique Tahar Ben Jelloun ? France 24, média public français financé par le contribuable, l’a trouvée. Il suffisait d’invoquer la figure familière du «grand écrivain marocain», sujet fidèle du couple Mohammed VI-Azoulay, pour offrir au téléspectateur la diversion parfaite.
La chaîne a donc choisi de nous révéler la «facette artistique» de celui qu’on nous présente depuis des décennies comme la conscience littéraire du Maghreb. Et quelle révélation ! Une exposition de dessins d’enfants, accrochés à Rabat, transformée en événement culturel d’importance internationale. France 24, dans un zèle que l’on aurait aimé voir appliqué à d’autres sujets, a même dépêché toute une équipe pour immortaliser l’instant.
Le maître de cérémonie, visiblement ravi, s’y donne à cœur joie. Tahar Ben Jelloun disserte, pontifie, s’écoute parler. L’homme manpie la banalité avec l’aisance de celui qui confond profondeur et prétention. Il nous gratifie, pour l’occasion, de l’une de ces sentences creuses qu’il affectionne tant : «Le scrupule, c’est comme une pierre dans la chaussure.» (Sic). La formule, digne de son ami Kamel Daoud, a sans doute pour vocation d’illuminer les esprits, mais elle ne fait qu’ajouter une note de ridicule à une scène déjà surjouée.
Quant aux dessins exposés, ils sont présentés comme des œuvres d’art, symboles d’un troisième âge créatif et [encore] plein d’espoir. Ce que France 24 ne précise pas, c’est qu’ils servent surtout de toile de fond à un récit soigneusement construit : celui d’un Maroc apaisé, cultivé, tourné vers la beauté et l’avenir. Un Maroc de galeries et de pinceaux, où la palette dans les mains asservies de Ben Jelloun effacerait les traces d’un peuple en colère.
Car au même moment, dans les rues de Casablanca, de Tanger ou de Fès, le pays s’embrase. Les Marocains manifestent, réclament la chute d’une monarchie moyenâgeuse, exigent l’avènement d’un régime républicain affranchi de toute allégeance à Israël. Les slogans résonnent, les foules se rassemblent, la peur change de camp. Mais sur les écrans de la télévision française, on ne verra rien de tout cela. A la place, on nous montre un écrivain apprivoisé, vantant la pureté du trait enfantin, pendant que le peuple revendique sa liberté.
France 24 ne sert donc pas ici la culture, mais la censure par la fausse esthétique. L’art de pacotille devient un paravent, une mise en scène policée destinée à masquer le tumulte. On maquille la révolte en exposition, on remplace la rue par la galerie, la colère par les couleurs bigarrées d’un gaspilleur de gouache.
Au Maroc, certains écrivent pour glorifier le trône, d’autres peignent pour adoucir la réalité. Et pendant que les caméras des chaînes françaises s’attardent sur des crayons de l’enfant fripé Tahar Ben Jelloun, la monarchie, elle, poursuit tranquillement son œuvre : celle de la répression.
K. B.



