Par M. Aït Amara – On aurait pu espérer un livre percutant, une plongée incisive dans l’envers du décor, on hérite plutôt d’un pétard mouillé présenté comme une bombe éditoriale. On croyait avoir tout vu dans le petit théâtre des pseudo-révélations tapageuses, mais voilà que déboule Les espions du président, ouvrage qui avance ses «vérités» sur le renseignement algérien comme on avance des pions sur un échiquier bancal : bruyamment, laborieusement et, surtout, partialement et malhonnêtement. Sous la plume d’Antoine Izambard et Pierre Gastineau, dont le goût pour les atmosphères de complots feutrés est proverbial, ce livre se présente comme une plongée dans les arcanes des officines secrètes. Mais il s’agit plutôt d’une séance de pêche à la ligne dans les eaux usées des forums et des bruits de couloir, le tout emballé dans un ton grave où l’imposture tient lieu de contenu.
Quelle découverte, exactement ? Entre deux chapitres, on guette fébrilement l’étincelle qui justifierait le battage et l’on ne récolte qu’un feu de Bengale mouillé. Les auteurs paraissent persuadés qu’en alignant des anecdotes déjà rebattues sur Internet, assorties de clins d’œil mystérieux façon «nous savons des choses que vous ignorez», ils tiennent là une bombe éditoriale. Mais la seule explosion qu’on perçoit est celle d’un vide sidéral.
Le livre se présente pourtant avec l’autorité de ceux qui ont accès aux «coulisses du renseignement». Ces coulisses ressemblent ici à une arrière-salle poussiéreuse où végètent des rumeurs fatiguées. On y croise moins des espions que des échos d’échos, des hypothèses ressassées, des «il paraît que», aussitôt montés en épingle comme s’ils constituaient des révélations d’Etat.
Ce qui frappe, dans Les espions du président, ce n’est pas la faiblesse des informations sur l’armée et les services secrets algériens – après tout, chacun fait ce qu’il peut –, mais la manière solennelle avec laquelle elles sont servies. Le moindre ragot est traité comme une trouvaille archéologique, la moindre contradiction comme une preuve d’un complot rampant. On en viendrait presque à souhaiter un simple tableau factuel. Mais non, les auteurs préfèrent les atmosphères, les ombres, les «révélations» en trompe-l’œil. C’est l’écriture-lanterne. Beaucoup de vacarme pour éclairer très peu.
Le style oscille entre pseudo-analyse et narration dramatisée, comme si l’on feuilletait un scénario d’espionnage plutôt qu’un essai supposé informatif. On cherche la rigueur, on trouve la scénarisation. On cherche la nouveauté, on tombe sur un inventaire de lieux communs. On cherche la nuance, on découvre un décor surjoué. A force de vouloir faire frissonner le lecteur, l’ouvrage en devient un pastiche involontaire des revues survoltées qui nourrissent leur imaginaire d’agents doubles et de valises codées.
Quand des Algériens sont arrêtés en France, ce sont de méchants espions qui attentent à la sécurité de la France. Quand c’est l’Algérie qui alpague des officiers de la DGSE pris en flagrant délit de tentative de réactivation de cellules terroristes dormantes, ce sont des ragots de la presse algéroise «proche du pouvoir». Quand le DRS sous Toufik refusait de coopérer avec la DGSE parce que les officiers de sécurité algériens connaissent les coups de Jarnac du succédané du SDECE, c’est de la mauvaise volonté. Quand les barbouzes marocains entretiennent les groupes islamistes armés au Sahel, brouillent les pistes pour couvrir les terroristes émargeant à la DGED de Yassine Mansouri qui pullulent dans toute l’Europe, et inondant la France de drogues en tout genre, ce sont des services efficaces que la France doit féliciter et décorer. Les psychiatres appelleraient cela «schizophrénie», mais là, il ne s’agit guère de psychiatrie, mais de complots d’Etat.
Les espions du président ressemble à ces brochures touristiques qui annoncent «territoires inconnus» et ne montrent que le parc municipal. On referme le livre, non pas éclairé, mais dégoûté d’avoir perdu son temps. On aura assisté à un théâtre où l’on prend la répétition générale pour la première mondiale.
Dans ce torchon modèle Farid Alilat(*), les portes ouvertes sont enfoncées avec un tel sérieux qu’on en viendrait presque à en applaudir la performance.
M. A.-A.
(*) Transfuge de Jeune Afrique, collectionneur de «pseudos» : pseudo-journaliste, pseudo-écrivain, pseudo-connaisseur des arcanes du pouvoir, pseudo-admis au cénacle…


