Une tribune de Me Khadija Aoudia – Ces derniers temps, la fertilité de mon esprit est exacerbée en raison des aberrations juridiques et sociétales faisant polémique tous les matins au petit-déjeuner. Faut-il en rire ? En pleurer ? Ou alors pleurer de rire ? J’ai choisi la troisième option ; c’est, en effet, un exercice complet pour le visage et l’âme.
Alors, chers lecteurs, avant de décrocher pour le week-end autour d’un brunch familial, je vous livre cette parodie citoyenne, en espérant vous apporter un sourire… et plus fortement une sensibilité
Tout a commencé dans ce noble théâtre de la raison appelé Assemblée nationale. Les députés y débattaient, ce jour-là, de grandes choses : la dette, la démocratie et accessoirement du prix du café à la buvette. Quand, soudain, un événement d’une gravité inédite secoua les travées : dans les tribunes, des jeunes filles voilées dont, Inès, 12 ans.
Le temps se figea. Les micros frémirent. Et la République, prise d’un vertige textile, faillit s’évanouir sur ses principes.
Les experts improvisés se mirent en branle. Le premier brandit la Constitution : «Article 1 ! La France est une République indivisible, laïque et sans foulard dans les tribunes scolaires !» «Mais cet article ne dit pas ça !», «Oui, mais il aurait pu, s’il avait su !»
Le second dégaina la jurisprudence : «La neutralité doit s’étendre à tous ! Même aux élèves ! Même en visite ! Même au plafond, s’il regarde !»
Le troisième, plus inspiré, inventa sur place la doctrine du «principe de précaution vestimentaire» : «Mieux vaut interdire un voile que risquer une émotion spirituelle non déclarée !»
Et tout ce petit monde se félicitait d’avoir sauvé la République d’un danger de 30 grammes de coton.
Pendant ce temps, Inès ne comprenait pas. Elle croyait assister à une leçon de civisme, elle assistait à une séance de confusion. Elle voulait voir la loi en action, elle a découvert la peur en uniforme juridique.
On lui expliqua, avec la bienveillance d’un fonctionnaire de la raison : «Tu comprends, ma chère, ce n’est pas contre toi. C’est pour te protéger. De toi-même !»
C’est drôle, la République : parfois elle protège tellement qu’elle finit par étouffer.
Et pourtant, il existait un texte. Un vrai, pas un inventé. Un texte qui disait, noir sur blanc, qu’«aucun enfant ne doit être humilié publiquement». Un texte signé à New York, le 20 novembre 1989, au nom de la dignité, du respect et de la protection des enfants.
Mais, ce jour-là, personne n’y a pensé. Pas entre deux tweets indignés et trois plateaux télé.
Inès, elle, ne cita pas la Convention. Elle ne cita rien. Elle se contenta de baisser les yeux, de sourire poliment et de demander, d’une voix tremblante : «Madame, est-ce qu’on a le droit de se sentir mal, dans le pays des droits de l’Homme ?»
La salle se tut. Pas longtemps. Juste le temps qu’un député retrouve son indignation.
Morale : il est des moments où la République se trompe de combat. Elle croit défendre ses valeurs en punissant un symbole, alors qu’elle les trahit en oubliant un visage.
Et dans ce grand théâtre où tout le monde parle au nom de la loi, c’est souvent une enfant qui en rappelle l’esprit.
Alors, rions, oui ! Mais rions d’intelligence, pas de peur ! Et surtout, n’oublions jamais que «la dignité d’un enfant», voilé ou non, est toujours la plus belle page de notre Constitution, même si elle n’y est pas écrite.
K. A.
Avocate (Nîmes)



