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Malaise à l’Elysée

Par Karim B. – Le silence d’un palais en dit davantage que ses plus longues allocutions. Ainsi en va-t-il de cette rencontre supposée, discrète jusqu’à l’effacement, entre Emmanuel Macron et l’agent gracié Boualem Sansal. Aucune photo, aucune fatuité triomphaliste officielle n’ont fuité de l’Elysée, comme si l’institution avait tenté d’effacer la trace d’un geste qu’elle a pourtant elle-même initié. L’unique confirmation publique est venue sous la forme d’un communiqué laconique, sec, presque administratif, dont la froideur trahit davantage un embarras qu’un hommage.

Il faut dire que la position du président français est intenable. D’un côté, il lui fallait exhiber Sansal pour satisfaire une opinion hexagonale prompte à s’enorgueillir de reconnaître, avant les autres, la grandeur de cet «écrivain» venu d’ailleurs. Un vernis culturel, presque rituel, que Paris continue d’appliquer sur son image comme on repeint un meuble troué par cet insecte xylophage à la langue de bois.

De l’autre côté, il ne fallait surtout pas en faire trop. Pas de sourires appuyés, pas d’embrassades républicaines, pas de déclarations lyriques sur la liberté d’expression. Car la machine diplomatique avance sur un fil tendu au-dessus des conditions intransigeantes d’Alger. Et un hommage trop appuyé à une taupe aurait suffi à compromettre les précaires tentatives de réchauffement entre les deux capitales.

Cette gêne palpable, ce calcul délicat, illuminent une évidence que l’on feint en France de ne pas voir. L’Etat qui présente Sansal comme un Voltaire contemporain ne sait plus très bien quoi faire de lui. Il est simultanément un trophée et un fardeau. Un symbole «prestigieux» quand il s’agit d’affirmer que Paris demeure la Mecque des belles lettres, et un embarras dès lors que ses danses du ventre risquent de troubler le ballet diplomatique.

Dans cette confusion, les premiers à s’agiter sont, comme toujours, les camelots des chaînes de désinformation en continu, ces hâbleurs experts ès tout qui vendent à longueur de journée l’idée que la France est le dernier sanctuaire universel du génie littéraire. Ils tentent de décorer ce non-événement d’une auréole qu’il n’a pas, ignorant qu’à force d’exhiber des écrivains alibi – Sansal, Daoud, Ben Jelloun – comme des trophées, on finit par réduire leur voix à un bruit de fond.

K. B.