Une contribution du Dr A. Boumezrag – On dit que les vautours ne s’attaquent jamais aux vivants. C’est faux. Ils tournent autour des blessés, flairent la faiblesse, patientent, calculent, puis picorent à la surface des promesses. Sous le grand ciel africain, trois d’entre eux ont trouvé un terrain de chasse idéal : sable chaud, ressources rares et Etats fatigués par tant de tutelles.
Ils planent, drapés de vertu et d’accords de coopération. L’un a des poches pleines de pétrodollars, l’autre des laboratoires d’espionnage high-tech, le troisième une vieille nostalgie impériale camouflée en fraternité africaine. Ensemble, ils forment ce qu’on pourrait appeler le Triangle des opportunismes, ou plus simplement, la coalition des vautours satisfaits.
Sous leurs ailes, les crises africaines deviennent des terrains d’expérimentation diplomatique. Une guerre civile ? Une occasion de tester la générosité des cargaisons aériennes. Une famine ? Le moment parfait pour livrer quelques tonnes d’aide humanitaire… estampillées d’un drapeau étranger et accompagnées d’un contrat de reconstruction. La paix, c’est beau, surtout quand elle se monnaye.
Les discours, eux, sont irréprochables : solidarité, partenariat, développement durable, coopération Sud-Sud. Les communiqués de presse brillent plus fort que les mirages du désert. Mais derrière chaque mot se cache une concession minière, une base logistique ou un vote attendu dans quelque organisation internationale.
L’Afrique, dans cette équation, n’est plus un continent, c’est un tableau Excel.
Les vautours, eux, n’ont pas de frontières. Ils parlent toutes les langues de la diplomatie : celle du marché, celle du renseignement et, surtout, celle du silence. On ne les entend pas venir, on les voit quand il est trop tard. L’un finance, l’autre signe, le troisième bénit. Et tous jurent que c’est pour le bien de la stabilité régionale. Le mot «stabilité», d’ailleurs, est devenu le plus rentable de la décennie.
Pendant ce temps, au Soudan, le sang sèche plus vite que les résolutions onusiennes. En Libye, la reconstruction se fait à coups de contrats d’exclusivité. Au Sahel, les drones remplacent les idéaux. Et dans les salons feutrés de certaines capitales, on négocie la paix comme on marchande une cargaison d’or noir ou de phosphate.
Les vautours du ciel africain ne volent jamais seuls. Ils s’accompagnent de consultants, de fondations, de think tanks et de réseaux d’influence bien huilés. Ils parlent de «modernisation», de «sécurité énergétique», de «nouvelles routes de la coopération». On pourrait presque les croire sincères, s’ils n’arrivaient pas toujours juste après les bombes, les sanctions ou les faillites.
Leur arme la plus redoutable n’est pas le canon, mais le narratif. Celui du «sauveur bienveillant», du «partenaire fiable», de «l’ami du continent». L’Afrique est aimée – trop aimée, même –, mais toujours pour ce qu’elle contient, jamais pour ce qu’elle est. Ses peuples votent, ses élites signent, et ses terres livrent leurs secrets, pendant que les vautours font mine de protéger ce qui reste de charogne diplomatique.
Et puis, il y a la morale. Celle qu’on brandit pour couvrir la rapacité. L’un se proclame gardien des Lieux saints, l’autre champion de la paix technologique, le troisième défenseur d’un panafricanisme de circonstance. Tous jurent leur fidélité au droit international, à condition qu’il reste flexible.
Le plus ironique, c’est que chacun de ces vautours prétend défendre la souveraineté en violant celle des autres. Ils soutiennent les «bons camps», définissent les «mauvais acteurs», et se découvrent soudainement passionnés par la «stabilité du continent». Stabilité, encore ce mot magique. A croire qu’il se vend au kilo sur les marchés diplomatiques.
Dans cette valse cynique, l’Afrique devient un théâtre d’ombres. Les puissances traditionnelles s’y effacent, laissant place aux nouveaux prédicateurs du «soft power» parfumé à la poudre et au cash. Les discours d’indépendance sont recyclés, traduits, exportés, revendus à prix fort. Et pendant que les vautours débattent dans les conférences internationales, la misère continue de gémir au sol, hors champ, bien sûr, pour ne pas gâcher la photo de famille.
Au final, il ne faut pas en vouloir aux vautours car ils ne font que suivre leur nature. Ce sont les blessés qui, souvent, oublient de guérir avant de se livrer. L’Afrique, fatiguée d’avoir trop cru aux promesses, laisse son ciel se couvrir d’ailes étrangères. Le silence des peuples, lui, fait le reste.
Perspectives sous un ciel encombré
Demain, de nouveaux oiseaux viendront s’ajouter au cortège. D’autres puissances, d’autres sigles, d’autres discours. Le continent continuera d’attirer les appétits et les slogans, et chaque crise sera une porte d’entrée. Mais peut-être qu’un jour, quand la terre se relèvera, le ciel deviendra trop étroit pour les vautours.
Alors, les peuples n’auront plus besoin de lever les yeux : ils marcheront droits, et les ombres s’éloigneront d’elles-mêmes. Au final, au Sahara, les frontières ne bougent plus, ce sont les consciences qui reculent.
A. B.



