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Nigeria : le nouveau champ de bataille de la foi, du pétrole et des puissances occidentales

Une contribution d’Anouar Macta – Donald Trump a ravivé, d’un trait de phrase, les spectres de l’interventionnisme américain. En déclarant vouloir «faire intervenir l’armée américaine au Nigeria pour que cessent les massacres de chrétiens», le président des Etats-Unis a réveillé les instincts d’un empire qui, depuis un siècle, se drape de morale pour mieux défendre ses intérêts.

Mais sous la rhétorique humanitaire, les logiques du pouvoir demeurent inchangées : là où l’Amérique prétend sauver des âmes, elle protège souvent des routes, des marchés et des flux énergétiques.

Le Nigeria n’est pas une page blanche où l’on viendrait écrire une croisade moderne. C’est un continent dans le continent, une mosaïque d’ethnies, de religions et de territoires minés par les fractures.

Les violences qui s’y déroulent ne se réduisent pas à une guerre de religions. Elles s’enracinent dans la pauvreté, la rivalité pour la terre, les trafics, les luttes entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades, et la faillite d’un Etat incapable de protéger ses citoyens.

La souffrance des chrétiens est réelle, mais elle s’inscrit dans une tragédie plus vaste, où chaque communauté pleure ses morts.

Intervenir militairement dans ce chaos, c’est risquer de s’y perdre. L’histoire américaine, de l’Irak à l’Afghanistan, regorge déjà d’aventures messianiques finissant en bourbiers sanglants.

Derrière la ferveur religieuse, c’est un autre théâtre qui s’agite. L’enjeu du Nigeria est aussi énergétique. Le «Trans-Saharan Gas Pipeline», ce projet pharaonique reliant le Nigeria au nord du continent via le Niger pour rejoindre l’Algérie, puis l’Europe, redéfinit l’équilibre stratégique africain.

Ce corridor énergétique, conçu pour offrir à l’Europe une alternative au gaz russe, attire toutes les convoitises. Les Etats-Unis le voient comme un instrument de dépendance maîtrisée ; la Russie comme une menace à son influence ; l’Algérie comme une opportunité historique de peser sur le continent et d’affirmer son rôle de pivot entre l’Afrique et l’Europe.

Déstabiliser le Nigeria, c’est donc aussi retarder ce projet, neutraliser un axe sud-nord indépendant, et maintenir le continent africain sous tutelle économique.

Face à cette complexité, l’Amérique joue un jeu à plusieurs bandes. La défense des chrétiens devient le vernis moral d’un pragmatisme stratégique : contrôler les routes de l’énergie et garder la main sur les zones d’influence africaines.

Mais intervenir militairement dans un pays de plus de 200 millions d’habitants, au tissu social éclaté et à la géographie insaisissable, serait une folie logistique autant qu’un suicide politique. Le gouvernement nigérian a d’ailleurs rejeté cette prétention américaine avec fermeté, rappelant que la souveraineté ne se négocie pas, même sous le prétexte du salut divin.

L’Afrique, désormais, n’est plus ce terrain docile que les puissances façonnaient à distance. Ses peuples observent, ses élites calculent, ses Etats se souviennent. Et ce souvenir-là, celui des interventions travesties en croisades, pèse lourd.

Trump, lui, se drape dans un discours d’autorité qui séduit sa base mais ignore les réalités diplomatiques. Il se dédit souvent ; on sait que son traitement peut lui jouer des tours et surtout qu’il ne décide pas de tout réellement, notamment sous l’influence de certains lobbys.

Mais peut-être que son conseiller à la défense lui enjoindra la retenue et lui expliquera que dire et faire sont deux choses bien différentes, surtout quand il s’agit d’envoyer des soldats dans un pays où, plus qu’ailleurs, les apparences sont trompeuses.

A. M.