Par Abdelkader S. – C’est un texte qui n’aura échappé à aucun observateur attentif des relations tendues entre l’Algérie et le Maroc. Dans les colonnes du média qatari Al-Jazeera, un ancien porte-parole du palais royal marocain a livré une longue tribune appelant à un «dialogue» entre Alger et Rabat. Sous des airs de réflexion historique et de sagesse diplomatique, ce texte sonne pourtant comme une manœuvre calculée du Makhzen, cherchant à masquer une énième tentative de réhabilitation internationale après un nouvel échec sur le dossier du Sahara Occidental.
Le choix du média n’est évidemment pas anodin. Al-Jazeera est connu pour être un instrument d’influence du Qatar, pays dont les relations avec l’Algérie se sont notablement renforcées au cours des dernières années. Voir un proche du palais marocain publier dans un tel support relève d’un message indirect, presque codé, adressé à Doha. Celui d’un régime marocain en quête de médiation, ou à tout le moins d’une porte de sortie face à son isolement croissant.
Le contexte est crucial pour comprendre la portée réelle de ce texte. Quelques jours à peine avant sa publication, Rabat a subi un revers notable à l’ONU. La première mouture de la résolution américaine sur le Sahara Occidental, qui intégrait le «plan d’autonomie» marocain comme seule base de discussion, a été reformulée grâce à une intense activité diplomatique algérienne. Sous l’impulsion d’Alger, la majorité des membres du Conseil de sécurité ont obtenu que ce plan soit rétrogradé au rang d’option parmi d’autres. Un désaveu cinglant pour la diplomatie marocaine, qui misait sur Washington pour imposer sa lecture du conflit.
C’est donc dans la foulée de cet échec que paraît, comme par hasard, cet appel au dialogue. Et si les termes employés par l’ancien communicant royal paraissent empreints de nostalgie et de fraternité maghrébine, ils traduisent surtout la fébrilité d’un régime marocain aux abois, conscient que sa stratégie d’instrumentalisation du dossier sahraoui touche à ses limites.
Le texte publié par Al-Jazeera convoque l’histoire commune, évoque les figures du roi Hassan II et du président Houari Boumediene, et multiplie les références à la «fraternité maghrébine». Mais derrière ce vernis historique, c’est une opération de communication soigneusement calibrée, celle d’un Maroc qui tente de se refaire une image pacifique après des années d’agressivité diplomatique et médiatique à l’égard de son voisin de l’Est.
Car si l’auteur concède que «l’absence de confiance» est au cœur des tensions, il oublie opportunément d’en préciser les causes profondes : les provocations répétées de Rabat, ses campagnes de désinformation, ses manœuvres au sein de l’Union africaine, sans parler de la normalisation militaire avec Israël. Comment, dès lors, le régime marocain pourrait-il prétendre au dialogue, alors qu’il multiplie les actes contraires à l’esprit même du bon voisinage ?
Que ce texte soit paru dans un média qatari n’est pas une simple coïncidence. Doha entretient, ces dernières années, avec Alger une relation de confiance solide, fondée sur des convergences politiques et une vision commune des équilibres régionaux. En s’adressant indirectement à ce partenaire privilégié de l’Algérie, Rabat cherche visiblement à amorcer une médiation par procuration, espérant que l’émir du Qatar pourrait infléchir la position ferme d’Alger.
Mais la manœuvre est vouée à l’échec. Car l’Algérie a déjà, à plusieurs reprises, écarté toute idée de médiation, considérant que la rupture diplomatique de 2021 résulte d’un enchaînement d’actes hostiles, non d’un malentendu passager. Pour Alger, la confiance ne se décrète pas dans les colonnes d’un média étranger, mais se reconstruit par des actes, pas par des tribunes à visée internationale.
Cet article d’apparence conciliante ne fait que confirmer que le Maroc se trouve aujourd’hui dans une impasse stratégique. Son pari américain s’effrite, ses alliances affichent leurs limites, et sa politique d’image trouve peu d’écho dans les capitales arabes. La «main tendue» du roi, répétée à chaque discours, demeure une formule creuse tant que Rabat persiste dans une logique de provocation et de duplicité.
Alger, de son côté, reste fidèle à une ligne constante. Celle de la légalité internationale et du soutien au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Et si l’ancien porte-parole royal espérait ouvrir un nouveau chapitre à travers Al-Jazeera, il aura surtout révélé, entre les lignes, le désarroi d’un royaume à la recherche d’une crédibilité perdue.
A. S.



